Date de naissance :
16 février 1918
Lieu de naissance :
Pléhédel (22 ) France
date de décès :
9 janvier 1979
Lieu de décès :
Paimpol (22) France
Ralliement :
22 janvier 1942 - France libre - Alexandrie 100 ( Egypte )
Matricules :
10210FN42
Affectations :
Marine au Levant, Espérance
Grade atteint pendant la guerre :
Second maître de 1ère classe radiotélégraphiste
N° membre AFL :
14.095
Engagement : Marine nationale pour cinq ans
Matelot de 2ème classe sans spécialité
Matelot de 2ème classe radio
Quartier-maître de 2ème classe radio
Quartier-maître de 1ère classe radio
Rengagement pour trois ans
Ralliement France libre - Alexandrie 100 ( Egypte )
Démobilisé
Marin de commerce, inscrit maritime au quartier de Paimpol sous le numéro 24680, Francis Calippe s'engagea dans la Marine pour cinq ans le 28 mars 1935.
Il était quartier-maître de 1ère classe radio à bord du Forbin depuis le 24 février 1939, lorsque la Force X, à laquelle appartenait le torpilleur, fut internée à Alexandrie par les Anglais dans le cadre de l'opération Catapult (3 juillet 1940). Le 20 janvier 1942, étant permissionnaire de la demi-journée, il quitta son bâtiment et ne rentra pas à bord par l'embarcation de 20 h 30. Il fut porté déserteur à l'étranger du 22 janvier 1942.
Le 24 janvier, son chef de service, l'enseigne de vaisseau Boudet, adressa au lieutenant de vaisseau Oger, officier en second du Forbin, un rapport sur la désertion de Francis Calippe :
« Mardi 20 janvier Calippe est descendu à terre avec les permissionnaires à 13 H 30. Il devait rentrer le soir à 23 H 00. A terre, il est resté jusqu'à 20 H 00 en compagnie d'un camarade de la Lorraine, le second maître Robin ; ce dernier l'a quitté pour rentrer à bord par l'embarcation de 20 H 30.
Jusqu'à ce moment on peut affirmer que Callipe n'a aucune intention de déserter. Tous ses effets, ses photos personnelles, les photos de sa mère sont restés à bord. Sur son livret de Caisse d'épargne il reste 1600 francs. De plus, il avait toujours montré un grand attachement à son bateau ; il était toujours le premier parmi les donateurs pour le Secours national, alors qu'il déléguait déjà 1000 francs par mois à sa mère.
Bien qu'étant sans doute resté un peu jeune de caractère, et pour cela même influençable, il était parmi ceux en qui j'avais le plus confiance.
Cependant, le mercredi matin il n'était pas rentré à bord. Je suis allé sur la Lorraine voir le second maître Robin, que je savais être son meilleur camarade dans l'escadre. Celui-ci a été stupéfait d'apprendre que Calippe n'était pas encore rentré, il a tout de suite cru à un accident et s'est proposé pour aller à terre tâcher de retrouver sa trace, et c'est à l'American Bar qu'il apprit que la veille au soir Calippe avait été vu en compagnie de matelots gaullistes, qu'ils avaient bu ensemble et que Calippe avait été emmené dormir sur le Vikings. »
Le lieutenant de vaisseau Oger transmit le rapport au capitaine de frégate Chatellier commandant le Forbin avec les précisions suivantes :
« Quand j'ai appris que le quartier-maître Calippe n'était pas rentré, j'ai fait faire une enquête à bord et à l'extérieur pour savoir ce qu'il était devenu après avoir quitté le second maître Robin. Personne ne l'avait vu, mais tous ses camarades étaient unanimes dans leur conviction qu'il n'avait pas déserté.
Le mercredi après-midi, j'envoyai à sa recherche à terre ses deux meilleurs camarades : le second maître Robin, de la Lorraine, et le quartier-maître Anthoine, du Forbin.
Ils ne devaient pas le retrouver, mais quand, en désespoir de cause, Anthoine, à la fin de la soirée, se rendit au Siège du Comité National Français, on lui déclara que le quartier-maître Callipe s'était engagé le matin dans les Forces Françaises Libres et qu'il était parti pour Suez.
Un sergent d'infanterie coloniale lui dit ensuite confidentiellement qu'il n'était pas parti et qu'il pourrait le voir le lendemain matin à 10 H 30 au même endroit.
D'autre part, Robin apprenait que Callipe, après l'avoir quitté, avait rencontré un "pays" embarqué sur le chalutier gaulliste Vikings, avec qui il avait passé la soirée et qui l'avait ensuite emmené dormir sur le Vikings.
Muni de ces informations, je me rendis moi-même à terre le jeudi matin, accompagné de Robin et Anthoine. N'ayant trouvé personne dans la chambre que Callipe occupait quelquefois, je téléphonai à la maison d'accueil gaulliste, où l'on me répondit qu'il venait de partir au Comité, où je me rendis immédiatement et seul.
Je désirai le voir seul, mais cela me fut impossible. Je lui dis que ses camarades et ses chefs étaient extrêmement surpris par son acte de désertion et que j'avais tenu à entendre moi-même ses explications, ne pouvant pas croire qu'il avait pris cette décision en pleine possession de son jugement.
Il me répondit par le topo classique : "qu'il voulait se battre contre les Allemands, qu'il n'était resté à bord que dans l'espoir que les bateaux reprendraient leur existence active, etc..; que ce n'était pas un coup de tête et que, en tout cas, s'il avait fait une connerie, il était maintenant trop tard pour y revenir". J'essayai alors de lui montrer qu'il n'était pas "trop tard", qu'on lui donnait une dernière chance de se reprendre, qu'il devait penser à sa mère, dont je savais qu'il était le principal soutien.
Il était visiblement ému, d'ailleurs tout cet entretien se passait de la façon la plus correcte. Mais la présence de sous-officiers gaullistes, bien que leur attitude fût irréprochable, m'enlevait tout espoir de succès.
Après l'avoir quitté, je rejoignis Robin et Anthoine, qui me demandèrent de faire à leur tour une dernière tentative. Je les y autorisai, mais ils se heurtèrent aux mêmes difficultés et aux mêmes réponses que moi.
Je suis convaincu que Calippe, en quittant le bord mardi soir, n'avait pas l'intention de déserter, qu'il n'a pris cette décision qu'au cours de la nuit passée avec le quartier-maître du Vikings et qu'ensuite on l'a soigneusement entouré et rapidement expédié, pour ne pas lui laisser le temps de se ressaisir. Malheureusement il est impossible d'appuyer cette conviction par des preuves matérielles irréfutables. »
Le commandant Chatellier, à son tour, adressa les rapports de ses deux officiers au capitaine de frégate commandant la 3ème Division de torpilleurs, en essayant de réduire l'acte de Francis Calippe à la conséquence d'un « guet-apens gaulliste » dans lequel serait tombé un « esprit simple » sous l'influence de l'alcool :
« Un fait paraît certain : Calippe n'avait jamais eu l'intention de déserter avant le 20 janvier 1942, il ne l'avait pas davantage en quittant le Forbin le 20 janvier à 13 H 30, et il ne l'avait pas encore à 20 H 00, quand le second maître Robin de la Lorraine s'est séparé de lui.
Or, Calippe, excellent garçon et excellent radio, se tenant très bien à bord et descendant peu à terre, avait cependant le défaut d'aimer la boisson et il avait déjà failli en subir les dures conséquences. Ayant rencontré un camarade du Vikings, avec lequel il a achevé de se mettre en état d'ivresse, il a été emmené traîner la nuit sur le chalutier gaulliste.
Le lendemain il a dû se rendre compte de la gravité de son cas et, perdant la tête, n'a dû voir de salut pour lui que dans l'engagement qu'on lui proposait au Comité National Français avec une insistance d'autant plus forte qu'il était quartier-maître radio.
Calippe, esprit simple, crédule, peu intelligent mais bon garçon, était une proie facile, malgré sa réputation fortement établie chez tous ses camarades d'être anti-gaulliste.
Mais bien qu'il apparaisse nettement que Calippe ait été victime d'une sorte de guet-apens gaulliste, ses réponses à l'officier en second, que j'avais envoyé tenter de la ramener, et à ses camarades sont trop nettes pour qu'on puisse parler d'un enlèvement véritable. »
L'absence de préparation de la désertion de Francis Calippe semble plausible. L'existence d'un élément déclencheur - la rencontre avec un marin du Vikings originaire de la même région que lui - semble également attestée. Mais il semble avoir agi sur un terrain favorable. Les témoignages de ses camarades semblent faire état d'une véritable détermination basée sur des convictions.
Témoignage d'Yves Robin, second maître radio à bord de la Lorraine :
« D[emande]. Quand avez-vous vu le quartier-maître Calippe pour la dernière fois ?
R[éponse]. Je l'ai quitté dans un dancing d'Alexandrie vers 20 heures le 20 janvier.
D.- Saviez-vous qu'il avait l'intention de déserter ?
R.- Non.
D.- Quand vous l'avez quitté le 20 janvier, Calippe était-il dans son état normal ?
R.- Il était un peu gai, mais pas saoûl. Je l'ai laissé seul et il m'a dit qu'il devait rentrer à 11 heures. Dans la salle il y avait des marins du chalutier gaulliste Vikings.
D.- Quand avez-vous su que Calippe n'était pas rentré à bord du Forbin ?
R.- Quand l'enseigne de vaisseau Boudet, son chef de service, est venu à bord de la Lorraine le 21 janvier à 13 h 30, pour savoir si je ne savais pas où il était.
D.- Qu'avez-vous fait le le 21 janvier après midi ?
R.- J'ai été à terre dans toutes les maisons qu'il avait l'habitude de fréquenter, pour savoir si on ne l'avait pas vu. Le soir j'ai dîné à l'American Bar et des camarades de la Lorraine m'ont dit qu'ils avaient entendu des marins gaullistes dire qu'un quartier-maître chef radio avait passé la nuit sur le Vikings. J'ai prévenu l'enseigne de vaisseau Boudet.
D.- Qu'avez-vous fait le 22 janvier au matin ?
R.- J'ai été à terre avec l'officier en second du Forbin et le quartier-maître torpilleur Anthoine pour essayer de voir Calippe et de le faire rentrer à bord. Je l'ai vu au Comité National Français. J'étais accompagné d'Anthoine, et Calippe de deux sergents gaullistes. Il m'a dit qu'il n'y avait rien à faire, qu'il avait pris une décision bien pesée, qu'il y avait longtemps qu'il avait décidé cela. Je lui ai demandé s'il avait pensé à sa mère, à qui il envoyait d'habitude de l'argent. Il m'a répondu qu'il avait pris ses dispositions. Il a dit également qu'il partait à midi pour Suez, ne sachant pas exactement ce qu'il y ferait. Quand j'avais parlé de la question d'argent pour sa mère, un des sergents est intervenu en disant : "Ne t'en fais pas, elle aura du pognon."
D.- Vous a-t-il donné les raisons de son départ ?
R.- "Pour chasser les Allemands de chez moi." »
Témoignage de Joseph Anthoine, quartier-maître torpilleur du Forbin :
« D.- Saviez-vous qu'il avait l'intention de déserter ?
R.- Non, il n'avait jamais manifesté cette intention. Au contraire, il semblait bien décidé à rester faire sa carrière dans la Marine.
D.- Que savez-vous de son départ ?
R.- J'ai appris qu'il n'était pas rentré à bord le mardi à 11 heures. [...] Le mercredi 21, à la demande de l'officier en second, j'ai cherché à savoir ce qu'il était devenu. J'ai appris par des civils qu'il s'était engagé le matin même dans les Forces Françaises Libres. Le jeudi 22, je suis retourné à terre avec l'officier en second et un second maître de la Lorraine, pour essayer de le voir et le faire revenir sur sa décision. Je l'ai vu étant avec le second maître de la Lorraine. Il était accompagné des deux sergents des "Forces du général de Gaulle". Il m'a dit qu'il avait décidé son départ depuis longtemps, mais qu'il avait caché son jeu, pour ne pas qu'on le retienne. Qu'il avait 24 ans, par conséquent qu'il savait ce qu'il faisait et il était inutile d'insister pour le faire revenir. Il a ajouté qu'il devait partir pour gagner soit Colombo soit l'Angleterre et, de là, embarquer sur un bâtiment de guerre.
D.- Savez-vous s'il a fait de la propagande auprès de marins français pour les inviter à déserter ?
R.- Non, il m'a même dit que cela l'ennuierait, si son exemple était suivi par d'autres marins du Forbin.
D.- Vous a-t-il donné des raisons de son départ ?
R.- Il m'a seulement [dit] que son seul espoir était de tuer le plus d'Allemands possible. »
Dès le 26 janvier, Francis Calippe écrivait de Suez à un marin du Forbin, Jules Lissilour :
« Mon vieux Lissilour,
comme tous les autres du bord, toi aussi tu as dû t'étonner de mon départ, mais que veux-tu, depuis déjà longtemps j'en avais l'intention. Et je puis te dire, mon vieux Jules, que tout ce que je regrette, c'est de n'être pas parti plus tôt, car je me rends compte maintenant de tous les mensonges qui m'ont été dits à bord. Cela m'a fait un peu mal au coeur de quitter les camarades. J'ai ici avec moi beaucoup de marins du commerce, qui viennent directement de France et qui m'ont raconté tout ce qui se passe ici. Voici d'abord tout ce que ces marins du commerce m'ont raconté : il n'y a plus presque rien à manger en France ! Pour avoir n'importe quelle marchandise, il faut avoir une carte et faire la queue devant les magasins, encore souvent ils font (ceinture). Tous ils m'ont raconté la même chose. Les Allemands ne sont pas partout en France, mais ils en ont le contrôle et, de ce fait, la majeure partie des marchandises arrivant dans les ports sont dirigées sur l'Allemagne. Vois-tu, mon vieux, si c'est rose ? J'ai aussi rencontré des types de Guingamp et de St-Brieuc. Ils ont réussi à se rendre en Angleterre sur des petits bateaux et ils sont maintenant ici comme parachutistes. Ceux-là aussi m'ont dit ce qui se passe là-bas. Quant à moi, je suis en ce moment à Suez. J'attends ma destination. Je ne sais pas encore où je vais être expédié. Pour la question de vie, c'est ici une grande famille, nous sommes tous de bons camarades. On mange très bien et la paye est meilleure que celle que je touchais dans la Force X. On m'avait pourtant dit que les types ne touchaient que 90 P.T. Mais maintenant je suis bien placé pour voir que tout cela était du (bluff). D'autre part, mon vieux Jules, je crois t'avoir tout dit et surtout ne vas pas penser que je suis en train de te raconter des histoires. Je n'en ai aucun intérêt. Ceci est simplement la "triste réalité". Fais part de ma lettre à Job et à tous les copains. Donne le bonjour à tous les timoniers du Tourville du dénommé (Petit). Et le bonjour à tous.
Un copain qui vous en serre dix.
Cordialement. »
Sources :
Documents :